MORELLY
Qu'il désigne l'homme ou l'auteur, le nom Morelly
reste toujours à déchiffrer.
Au centre de l'énigme, les livres qui sont signés
de ce nom, ou qui lui sont associés. Ci-dessous la chronologie
de leur parution et les attributions des contemporains :
Année |
Titres |
La France Littéraire 1756
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Opinion
1755-1756 |
La France Littéraire
1769 |
1743 |
Essai sur l'esprit humain, ou Principes
naturels de l'éducation, par M. Morelly... Paris : C.-J.-B.
Delespine, 1743. In-12, XXVI-370 p. |
Morelly, régent à Vitry-le-François |
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Morelly, né à Vitry-
le-François |
1745 |
Essai sur le cœur humain, ou Principes
naturels de l'éducation, par M. Morelly. Paris : C.-J.-B.
Delespine, 1745. In-12, XLVIII-312 p. |
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1748 |
Physique de la beauté, ou Pouvoir
naturel de ses charmes. [Signé : Morelly.]. Amsterdam
; et Bruxelles : G. Fricx, 1748. In-8°, IV-187 p. |
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1751 |
Le Prince, les délices des cœurs,
ou Traité des qualités d'un grand roi et sistème
général d'un sage gouvernement, par Mr M***.
Amsterdam1751. 2 vol. in-8° (par Morelly, d'après Barbier) |
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Morelly,
fils du précédent |
1753 |
Naufrage des isles flottantes ou Basiliade
du célèbre Pilpai, poème héroïque,
traduit de l'indien par M. M****** (Morelly). Messine : par une
société de libraires, 1753. 2 vol. in-12 (Traduction
supposée) |
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1755 |
Code de la nature, ou le Véritable
esprit de ses lois de tout temps négligé ou méconnu.
Partout [i.e. Hollande] : chez le vrai sage, 1755. In-8°, 240 p.,
fig. gravées au titre (par Morelly, d'après Barbier). |
Diderot |
Toussaint
ou
La Beaumelle? |
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1755 |
Lettres de Louis XIV aux princes de
l'Europe, à ses généraux recueillies par M.
Rose secrétaire du Cabinet avec des remarques historiques
de M. Morelly. Edimbourg, 1755. |
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" " |
1778 |
L'Hymen vengé en cinq chants,
suivi de la traduction libre en vers françois de Médée,
tragédie de Sénèque, et de quelques pièces
fugitives, par M***. Londres ; Paris, 1778. In-8°, 240 p. (par
Morelly, d'après Barbier). |
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Vue de notre époque, on peut faire commencer l'énigme
Morelly à la parution du Code de la Nature. Au cours
du premier semestre de 1755, l'abbé Raynal1,
puis Grimm2 signalent dans leur chronique
l'apparition de l'ouvrage et la devinette à laquelle se livre
l'opinion, qui pense que l'auteur en cache un autre et hésite
entre Toussaint ou La Beaumelle. Pour tout arranger en 1756 La France
littéraire mentionne en 1756 un Morelly, ci-devant régent à Vitry-le-François,
auquel elle attribue les deux Essais et Physique de la Beauté, alors
que dans le Supplément qu'elle fait paraître le Code
de la Nature est classé parmi les œuvres de Diderot. Bien
que réfutée catégoriquement par Grimm en 17573,
Rey en 1773 (Amsterdam) objectivera cette attribution par une édition
en 5 volumes in-8° des œuvres de Diderot, qui inclura dans son tome II
le Code de la nature. L'attribution persistera jusqu'en 1798,
Babeuf s'en prévalant même devant la Haute Cour à Vendôme
en 1797.
L'imbroglio ne serait pas complet s'il ne s'y ajoutait un
imbroglio sur l'homme. En 1769 La France littéraire pourvoit
le Morelly de 1756 re-présenté en 1769 comme natif de
Vitry-le-François d'un fils. Au premier reviennent les deux Essais et Physique
de la Beauté conformément à 1756; au second,
le Prince, la Basiliade et les Lettres. La distinction
sera réitérée dans le Supplément de
1784. Il y aurait donc deux Morelly écrivains, le père
et le fils. Le paradoxe est qu'aucun des deux ne serait l'auteur du Code,
soit que l'opinion y voie la main de Toussaint ou de La Beaumelle, soit
que le monde de l'édition le pare de celle de Diderot, soit que
les gens de lettre lui fasse un tel sort que l'être s'en trouve
définitivement annulé. Sur un tel terreau, des investigations
ultérieures font valoir que Morelly ne cacherait personne si ce
n'est lui-même, qu'il ne serait pas ce non-auteur auquel le réduit
la critique de son siècle, et que les deux auteurs Morelly de La
France littéraire ne feraient qu'un. Pour Guy Antonetti qui
relaie Nicolas Wagner sur ces sujets, l'unique Morelly se nommerait Etienne-Gabriel
Morelly et serait fils de Gabriel Morelly (c. 1687-1764) et de Marie
Mazurier. Morelly père serait un employé dans les Fermes
du Roi, puis dans le service des vivres des Armées du Roi, qui
aurait vécu à Vitry-le-François à partir
de 1722 et jusqu'à sa mort. A l'erreur de La France littéraire sur
la personne s'ajouterait donc une erreur sur la chronologie et sur la
topographie : Etienne-Gabriel Morelly ne pourrait pas être né à Vitry-le-François.
Sa naissance se situerait à Paris vers 1717-1718.
L'étude tant matérielle que textuelle des écrits
attribués à Morelly incline les chercheurs à voir
en Morelly, non "un aventurier de la plume ni un marginal, mais plutôt
un scribe", recherchant appuis et protecteurs et dont la carrière
se serait déroulée "à l'intérieur d'une nébuleuse
de maisons de la haute aristocratie", qui aurait pour centre le prince
de Conti. L'évolution observée entre 1748 et 1751 dans
ses textes réfléchirait l'allégeance au prince en
réfléchissant les positions de son clan pendant la période
: l'exaltation du roi bien-aimé de Physique de la Beauté (1748)
cède la place à l'opposition tour à tour discrète
du Prince, les délices des cœurs (1751), déclarée
de la Basiliade (1753) et du Code (1755), et feutrée
des Lettres (1756).
Le Code de la nature paraît en janvier 1755,
l'année du Discours sur l'Origine et les Fondements de l'inégalité parmi
les hommes4. L'ouvrage
a eu de 1754 à 1773 cinq éditions connues, trois éditions
plus ou moins complètes au XIXe siècle et une
dizaine au XXe en France, en Allemagne de l'Est, en Russie,
en Yougoslavie, en Italie. A ces trois vagues d'édition correspondent,
comme le note Nicolas Wagner, trois lectures du Code : A sa publication,
l'abbé Raynal, puis Grimm
s'accordent pour l'éreinter, seul le marquis d'Argenson le met
au-dessus de l'Esprit des lois. D'environ 1762 jusqu'à la
veille de la Révolution, le Code est avant tout considéré comme
un ouvrage impie, "philosophique". Avec l'affaire Babeuf, en 1797, le Code accède
au rang de "Grand livre socialiste du XVIIIe siècle", et le projet
de constitution qu'il contient le consacrera comme tel. Aujourd'hui une
quatrième lecture s'amorce : le Code offre un extraordinaire
condensé des thèmes et idées de l'époque,
qui pourrait expliquer ses attributions diverses et notamment le souhait
par Grimm que Rousseau en fût plutôt l'auteur. A posteriori ses
défauts
acquièrent
la vertu de nous établir,
avec une immédiateté et une fraîcheur incroyables,
dans ce qui faisait l'air du temps.
paulette taieb
1999 - révision 2003
Cette notice a été établie à l'aide des
sources suivantes :
ANTONETTI, Guy : |
"Etienne-Gabriel Morelly : l'homme et sa famille." Revue d'Histoire
Littéraire de La France, mai-juin 1983 : 390-402.
|
" "
|
"Etienne-Gabriel Morelly : l'écrivain et ses protecteurs." Revue
d'Histoire Littéraire de La France, janvier-février
1984 : 19-52.
|
DOLLÉANS, Édouard : |
Notice, in Morelly, Code de la Nature ou le véritable
esprit de ses loix 1755. Paris Librairie Paul Geuthner, 1910
(Collection des économistes et des réformateurs sociaux
de La France) : v-xxxi. |
WAGNER, Nicolas : |
"État actuel de nos connaissances sur Morelly. Biographie,
accueil et fortune de l'œuvre." Dix-Huitième Siècle,
n° 10 1978 ("Qu'est-ce que les Lumières")
|
|
Morelly, le méconnu des Lumières. Paris,
Klincksieck, 1978, 406 p.
|
Elle réfère, par ordre d'apparition, aux ouvrages et périodiques
suivants :
|
La France littéraire "contenant
les noms et les ouvrages des gens de Lettres, des Sçavans
et des Artistes Célèbres qui vivent actuellement
en France". Années 1756, 1757, 1769, 1784. |
GRIMM, Friedrich Melchior, baron |
|
Correspondance
littéraire, philosophique et critique par Grimm, Diderot,
Raynal, Meister, etc. revue sur les textes originaux, comprenant
outre ce qui a été publié à diverses époques
les fragments supprimés en 1813 par la censure, les parties
inédites conservées à la bibliothèque
ducale de Gotha et à l’Arsenal de Paris. Notices,
notes, table générale par Maurice Tourneux. Paris,
Garnier, 1877-1882 |
SAINTE-BEUVE, Charles-Augustin |
|
Causeries du lundi...
3e édition revue et corrigée... Paris : Garnier frères. In-12.
t. XII. - 1870 (12) p. 146. |
Enfin, elle mentionne les personnages suivants :
GRIMM, Friedrich Melchior, baron |
|
Ratisbonne, 26 décembre 1723-Gotha, 19 décembre
1807 |
DIDEROT, Denis |
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Langres, 5 octobre 1713- Paris, 31 juillet 1784 |
BABEUF, François Noël, dit Gracchus |
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Saint-Quentin, 23 novembre1760-Vendôme, 27 mai1797 |
TOUSSAINT, François Vincent |
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Paris, 21 décembre 1715-
Berlin, 22 juin 1772. Avocat, homme de lettres, collaborateur de
l'Encyclopédie aux deux premiers volumes de laquelle il a
fourni les articles de Jurisprudence. Grimm en 1754 lui céda
la direction du Journal des étrangers. En 1756, il
continua le Journal de Gauthier d'Agoty. Il fut l'un des rédacteurs
ju Journal littéraire publié à Berlin
de 1772 à 1776 (27 volumes in-12). Auteur des Moeurs,
1748, on relève dans sa production notamment Essai sur
le rachat des rentes, trad. de l'ang. Londres (Paris), 1751 in-12. Recueil
d'actes et de pièces concernant le commerce des divers pays
de l'Europe, trad. de l'anglais, 1754, in-12 (in 3ème
volume du recueil publié par Mauvillon, sous le titre de Discours
politiques de D. Hume, Amsterdam, 1761. 5 volumes in-12) (pseudonyme
: Mr. de T ***) |
LA BEAUMELLE, Laurent Angliviel de |
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Vallerangue (Gard), 28 janvier1727 - Paris, 17 novembre
1773. Auteur, Polygraphe, Professeur de lettres au Danemark, puis
en Prusse. Brouillé avec Voltaire, auquel il dut toutes
les tracasseries possibles dont son embastillement en 1753 et son
exil. De retour à Paris en 1770, il faut attaché à la
Bibliothèque du Roi. Mais il ne jouit pas longtemps de cette
situation et mourut dans la maison de son ami La Condamine, qui,
avec Montesquieu l'avait déjà soutenu. Il est l'auteur
de Les amours de Zeokinizul, roi des Kofirans ouvrage traduit
de l'arabe du voyageur Krinelbol, 1746. La Spectatrice danois,
ou l'Aspasie moderne, Copenhague, 1749-1750, 3 volumes in-8°. L'Asiatique
tolérant. Traité à l'usage de Zéokinizul, roi des Kofirans, surnommé le
Chéri traduit de l'arabe du voyageur Bekrinoll ; par M. de
*****, 1750. Suite de la défense de l'Esprit des lois,
1751, in-12. Mes pensées [signé : Gonia de Pala Jos (La
Beaumelle)], 1751. (ps. Krinelbol, Bekrinoll, Gonia de Pala Jos). Pensées
de Sénèque recueillies par M. Angliviel de la Beaumelle, 1752,
2 volumes in-12. La Henriade de Voltaire ;
avec le commentaire de Labeaumelle, 1769, in-8°.
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CONTI, Louis-François prince de |
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1717-1776 |
ROUSSEAU, Jean-Jacques |
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Genève, 28 juin 1712- Ermenonville, 2 juillet
1778. |
VOYER, René Louis de, marquis d'Argenson |
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Paris, 18 octobre 1684-Paris, janvier 1757 |
RAYNAL, Guillaume Thomas, Abbé |
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Lapanouze en Rouergue, 12 avril 1713- Paris, 6 mars
1796. |
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