[N.B. : Figure ci-dessous, à l'exception du graphe, la transcription de la deuxième édition (1759) du Tableau économique. L'orthographe et la ponctuation originales ont été conservées. Les remarques qui suivent le tableau sont cette fois intitulées Extrait des œconomies royales de M. de Sully.] | ||
TABLEAU ŒCONOMIQUE. | ||
Fournies
par l'agriculture, prairies, pâtures, forêts, &c. En grains,
boissons, viande, bois, bestiaux, matieres premieres des marchandises
de main-d'œuvre, &c. Debit réciproque d'une classe de dépenses à l'autre qui distribue le revenu de 600 liv. de part & d'autre, ce qui donne 300 livres de chaque côté : outre les avances qui sont conservées. Le Propriétaire subsiste par les 600 liv. qu'il dépense. Les 300 livres distribuées à chaque classe de dépense peuvent y nourrir un homme dans l'une & dans l'autre : ainsi 600 livres de revenu peuvent faire subsister trois hommes chefs de famille. Sur ce pied 600 millions de revenu peuvent faire subsister 3 millions de familles estimées à 3 personnes par famille. Les frais de la classe desdépenses productives qui renaissent aussi chaque année, & dont environ la moitié est en salaire pour le travail d'homme, ajoûtent 300 millions qui peuvent faire subsister encore un million de chefs de famille à 300 liv. chacun. Ainsi ces 900 millions qui naîtroient annuellement des biens-fonds, pourroient faire subsister 12 millions de personnes de tout âge, conformément à cet ordre de la circulation et de la distribution de revenus annuels. Par circulation on entend ici les achats payés par le revenu, & la distribution qui partage le revenu entre les hommes par le payement des achats de la premiere main, abstraction faite du commerce qui multiplie les ventes & les achats, sans multiplier les choses, & qui n'est que surcroît de dépenses stériles. |
REPRODUIT total ......................600 de revenu & les frais annuels d'agriculture de 600 livres que la Terre restitue. Ainsi la réproduction est de 1200 livres. |
En
marchandises de main d'œuvre, logemens, vêtemens, intérêts
d'argent, domestiques, frais de commerce, denrées étrangeres,
&c. Les achats réciproques d'une classe de dépense à l'autre distribue le revenu de 600 liv. Les deux classes dépensent en partie sur elles-mêmes, & en partie réciproquement l'une sur l'autre. La circulation porte 600 liv. à cette colonne, sur quoi il faut retirer les 300 liv. des avances annuelles, reste ici 300 liv. pour le salaire. L'impôt qui doit être rapporté à cette classe, est pris sur le revenu qui s'obtient par les dépenses réproductives, & vient se perdre dans cette classe-ci, à la réserve de ce qui rentre dans la circulation, où il renaît dans le même ordre que le revenu, & se distribue de même aux deux classes. Mais il est toujours au préjudice du revenu des propriétaires, ou des avances des cultivateurs, ou de l'épargne sur la consommation. Dans les deux derniers cas, il est destructif parce qu'il diminue d'autant la réproduction ; il en est de même de ce qu'il en passe à l'étranger sans retour, & de ce qui en est arrêté par les fortunes pécuniaires des traitans chargés de la perception & des dépenses ; car ces parties de l'impôt détournées ou dérobées par l'épargne aux dépenses productives, ou prises sur les avances des cultivateurs, éteignent la réproduction, retombent doublement en perte sur les propriétaires, & détruisent enfin la masse du revenu qui fournit l'impôt, lequel ne doit porter que sur le propriétaire, & non sur les dépenses réproductives, où il ruine le Cultivateur, le Propriétaire, & l'Etat. |
[3]
EXTRAIT
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(a)
Si on ajoûtoit l'impôt aux 600 millions de revenu & que
l'impôt fût de 200 millions, il faudroit que les avances
annuelles fussent au moins de 1200 millions, sans compter les avances
primitives, nécessaires pour former d'abord l'établissement
des Laboureurs ; ainsi il faut remarquer que les terres les plus
fertiles seroient nulles sans les richesses nécessaires pour
subvenir aux dépenses de la culture, & que la dégradation
de l'agriculture dans un Royaume ne doit pas être imputée à la
paresse des hommes, mais à leur indigence. (b) Les 600 millions de revenu peuvent être partagés à un plus petit nombre de propriétaires: Dans ce cas, moins il y auroit de propriétaires, plus la dépense de leur revenu surpasseroit la consommation que chacun d'eux pourroit faire personnellement, Mais ils feroient des libéralités, ou rassembleroient d'autres hommes pour consommer avec eux ce que leur fourniroit la dépense de leur revenu : ainsi cette dépense se trouveroit distribuée à-peu-près, comme s'il y avoit un plus grand nombre de propriétaires bornés chacun à une moindre dépense. On doit penser de même de l'inégalité des gains ou des profits des hommes des autres classes. |
[4] 5°. Que les propriétaires & ceux
qui exercent les professions lucratives, ne soient pas portés
par quelque inquiétude, qui ne seroit pas prévue par
le Gouvernement, à se livrer à des épargnes stériles
qui retrancheroient de la circulation & de la distribution une
portion de leur revenu, ou de leurs gains. |
(c) Dans tel Royaume les avances ne produisoient
du fort au foible, l'impôt à part, qu'environ 20 pour cent,
qui se distribuoient à la dixme, au propriétaire, au fermier,
pour son gain, les intérêts de ses avances, & ses risques
: Ainsi deficit de trois quarts sur le produit net. L'impôt étoit presque tout établi sur les fermiers & sur les marchandises, ainsi il portoit sur les avances des dépenses, ce qui les chargeoit d'environ 500 millions pour l'impôt, les gains, les frais de regie, &c. Et elles ne rendoient à la Nation, à en juger par la taxe d'un dixiéme, qu'environ 400 millions de revenu. Les dépenses productives étoient enlevées successivement par l'impôt, au préjudice de la réproduction. Le sur-faix de l'impôt sur le prix naturel des denrées ajoûtoit un tiers en sus au prix des marchandises dans la dépense du revenu de 400 millions ; ce qui le réduisoit , en valeur réelle, à 300 millions, & portoit le même préjudice au commerce extérieur, & à l'emploi de l'impôt qui rentroit dans la circulation. Le commerce réciproque avec l'étranger raporte des marchandises qui sont payées par les revenus de la Nation en argent ou en échange ; ainsi il n'en faut pas faire un objet à part qui formeroit un double emploi. Il faut penser de même des loyers de maisons & des rentes d'intérêt d'argent : car ce sont des dépenses pour ceux qui les payent, excepté les rentes placées sur les terres, qui sont assignées sur un fonds productif ; mais ces rentes sont comprises dans le produit du revenu des terres. (d) Dans la grande culture, un homme seul conduit une charrue tirée par des chevaux, qui fait autant de travail que trois charrues tirées par des bœufs & conduites par six hommes : Dans ce dernier cas, faute d'avances pour l'établissement d'une grande culture, la dépense annuelle est excessive, & ne rend presque point de produit net.On dit qu'il y a une nation qui est réduite à cette petite culture dans les trois quarts de son territoire, & qu'il y a d'ailleurs un tiers des terres cultivables qui sont en non valeur. Mais le Gouvernement est occupé à arrêter les progrès de cette dégradation, & à pourvoir aux moyens de la réparer. Voyez dans l'Encyclopédie les articles FERMIERS, FERME, GRAINS. |
[5] 10°. Que l'on évite
la désertion des habitans qui emportent leurs richesses
hors du Royaume. |
(e) Les travaux des marchandises de main-d'œuvre & d'industrie pour l'usage de la Nation, ne sont qu'un objet dispendieux & non une source de revenu. Ils ne peuvent procurer de profit net dans la vente à l'étranger, que dans les pays où la main-d'œuvre est à bon marché par le bas prix des denrées qui servent à la subsistance des ouvriers; condition fort désavantageuse au produit des biens-fonds ; aussi ne doit-elle pas exister dans les Etats qui ont la liberté & la facilité d'un commerce extérieur qui soutient le débit & le prix des denrées du crû, & qui heureusement détruit le petit produit net qu'on pourroit retirer d'un commerce extérieur de marchandises de main-d'œuvre, où le gain seroit établi sur la perte qui résulteroit du bas prix des productions des biens-fonds. On ne confond pas ici le produit net ou le revenu pour la Nation avec le gain des commerçans & entrepreneurs de manufactures ; ce gain doit être mis au rang des frais par rapport à la Nation ; il ne suffiroit pas, par exemple, d'avoir de riches laboureurs, si le territoire qu'ils cultiveroient, ne produisoit que pour eux. Il y a des Royaumes où la plûpart des manufactures ne peuvent se soutenir que par des priviléges exclusifs, & en mettant la Nation à contribution par des prohibitions qui lui interdisent l'usage d'autres marchandises de main-d'œuvre. Il n'en est pas de même de l'agriculture & du commerce des productions des biens-fonds où la concurrence la plus active multiplie les richesses des nations qui possèdent de grands territoires. Nous ne parlons pas ici du commerce de trafic qui est le lot des petits Etats maritimes ; mais un grand Etat ne doit pas quitter la charrue pour devenir voiturier. On n'oubliera jamais qu'un ministre du dernier siécle ébloui du commerce des Hollandois & de l'éclat des manufactures de luxe, a jetté sa patrie dans un tel délire, que l'on ne parloit plus que commerce & argent, sans penser au véritable emploi de l'argent, ni au véritable commerce du pays. |
[6] vent
des richesses nécessaires pour l'amélioration des biens-fonds & pour
la culture des terres. |
(f) On ne doit s'attacher qu'aux manufactures
de marchandises de main-d'œuvre dont on a les matieres premieres, & qu'on
peut fabriquer avec moins de dépense que dans les autres pays :
Et il faut acheter à l'étranger les marchandises de main-d'œuvre,
qu'il peut vendre à meilleur marché qu'elles ne coûteroient à la
nation, si elle les faisoit fabriquer chez elle. Par ces achats, on provoque
le commerce réciproque : car si on vouloit ne rien acheter, & vendre
de tout, on éteindroit le commerce extérieur, & les avantages
de l'exportation des denrées du crû. (g) L'idée dominante de la guerre dans les Nations, fait penser que la force des Etats consiste dans une grande population ; or la partie militaire d'une Nation ne peut subsister que par la partie contribuable : supposeroit-on que les grandes richesses d'un Etat s'obtiennent par l'abondance d'hommes ; mais les hommes ne peuvent obtenir et perpétuer les richesses que par les richesses, & qu'autant qu'il y a une proportion convenable entre les hommes & les richesses. Une Nation croit toujours qu'elle n'a pas assez d'hommes, & on ne s'aperçoit pas qu'il n'y a pas assez de salaires pour soutenir une plus grande population, & que les hommes n'abondent dans un pays, qu'autant qu'ils y trouvent des gains assurés pour y subsister. |